Mohamed Bouhafsi victime de racisme : « Bientôt c’est la fin de la France pour les bougnoules comme toi

« Bientôt c’est la fin de la France pour les bougnoules comme toi ! » , « sale arabe« , « racaille« . Le racisme, Mohamed Bouhafsi connaît bien malheureusement. Ce mardi 25 juin, le journaliste de « C à vous » a partagé en story Instagram un triste florilège des insultes en raison de ses origines qu’il reçoit sur ses réseaux sociaux. Quelques heures plus tôt, un autre journaliste de France Télévisions, Karim Rissouli, avait révélé avoir reçu un courrier raciste à son domicile. Une lettre rédigée à la main cette fois. « Le peuple français historique en a plein le cul de tous ces bicots », pouvait-on y lire.

Ces témoignages interviennent dans un climat politique tendu en France, à quelques jours des élections législatives anticipées (30 juin et 7 juillet). Après la victoire de la liste Rassemblement national menée par Jordan Bardella aux élections européennes du 9 juin, qui a remporté 31,47% des suffrages, Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée nationale. La porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot, dénonçait, mercredi, sans faire directement référence aux témoignages des deux journalistes, « la libération de certains discours haineux » et « d’une parole haineuse, raciste, par moments antisémite ».

Et les chiffres démontrent un vrai recul de la « tolérance » des Français. Car si en 2019, 1,1 million de personnes affirmaient avoir été victimes dans le pays d’au moins « une atteinte à caractère raciste, antisémite ou xénophobe », selon une enquête de l’Insee et de l’Ined, la situation ne semble pas s’être améliorée ces derniers années. Bien au contraire. En effet, selon le baromètre annuel de la CNCDH, l’année 2023 a été marquée par « une montée des crispations identitaires » et « une progression sensible » de l’antisémitisme et du rejet de l’immigration, plus de la moitié des Français estimant qu’ »il y a trop d’immigrés en France ».

Ce racisme s’exprime dans la rue, sur les réseaux sociaux, mais aussi dans le monde professionnel, parfois sous couvert de bonnes intentions. C’est en tout cas sous cette forme qu’elle s’est présentée pour Mohamed Bouhafsi. Né en Algérie, âgé de 29 ans, ce dernier est aujourd’hui un journaliste sportif connu et apprécié du grand public. Mais, ainsi qu’il le confiait en 2021 à Manu Katché dans son émission La Face Katché, ses débuts n’ont pas été simples. Notamment à cause de son patronyme.

Il y a quelques années, au tout début de sa carrière, Mohamed Bouhafsi était en stage chez Radio France, une maison emblématique pour celles et ceux qui rêvent de faire carrière à la radio. Là-bas, il fait une rencontre qui aurait toutefois pu le dégoûter de ce métier : « Un jour, je rencontre un directeur, qui est une personnalité influente du monde des médias. Il me dit : « Tu sais, Mohamed ça ne marchera pas. Momo, ça marchera pas. C’est encore pire. Momo, c’est le mec qui vend des « Vache qui rit » ». Il me dit : « C’est l’épicier en bas de la rue. Les gens sont pas prêts, les Français ne sont pas prêts à écouter une voix qu’on appelle Momo ». Et je le regarde comme ça, et franchement, j’ai pris un uppercut. »

Certains se seraient tus, mais Mohamed est fier de ses racines, fier de son prénom. « Je le regarde, et je respecte aussi ce qu’il est, je respecte sa personnalité. Mais je lui ai dit : « C’est simple, je ne vais pas renier mon nom pour vous, et ça, ça ne va pas le faire, donc on va se dire au revoir ». Il me répond : « Réfléchis bien, parce que je pense vraiment que Max ou Léo, c’est pas mal ». Je me suis dit : « Ne t’énerve pas. Ne te mets pas en colère. N’aies pas la haine. Montre-lui que dans quelques semaines, tu seras à l’antenne dans une autre radio puissante, et tu montreras que c’est Mohammed qui est à l’antenne. » Une belle façon de prendre sa revanche, puisqu’il est aujourd’hui rédacteur en chef football chez RMC Sport et BFM TV, et animateur de l’émission Top of the Foot. Le journaliste a les reins solides. Et l’explication derrière cette force de caractère se trouve peut-être dans son enfance.

Aujourd’hui, Mohamed Bouhafsi ne s’en cache pas : son enfance n’a pas été celle d’un enfant classique. « J’ai eu une enfance particulière entre l’amour de ma mère et des difficultés très douloureuses avec mon père. J’ai vécu avec ce paradoxe-là jusqu’à l’âge de mes 8 ans, et le départ de mon père de la maison. Et là, à 8 ans, c’était une renaissance. » Son père était en effet un homme alcoolique, violent, qui n’hésite pas à lever la main sur lui ou sur la mère de ses enfants : « Moi j’en ai pris sur la gueule, mais celle qui en a pris le plus c’est ma mère. Voir sa mère la tête en sang, avec des ecchymoses, avec des dents cassées… Quand tu as 4 ou 5 ans… Je ne le souhaite pas à mon pire ennemi. »

« C’est un combat », raconte-t-il avec émotion. « C’est un quotidien où tu n’as pas de « Je t’aime », où tu n’as pas d’amour. Et tu as une peur terrible pour ta mère. Une peur terrible qu’elle meure. Ça part en vrille un soir de Noël, ça part en vrille parce que ton père à perdu au jeu, au flipper ou aux dominos. C’est une carte de fidélité presque à l’hôpital Lariboisière. Il y a des moments où on se demande : est-ce qu’on a bien fait d’être sur terre. Et d’entendre son père dire « On était plus heureux avant que tu arrives », ou des trucs comme ça… C’est horrible. Mais c’est un moment qui m’a sans doute forgé, et je ne serais peut-être pas devenu cette personne si ce n’était pas arrivé. » Son passé d’enfant battu, Mohamed Bouhafsi en garde une certitude : « Ce que j’ai vécu entre 0 et 8 ans, ça a forgé mon ambition et mon envie de réussir. »

Son père est sorti de sa vie alors que le futur journaliste avait 8 ans, pour y revenir par surprise de nombreuses années plus tard : « J’ai revu mon père une fois, et ça ne s’est pas bien passé. Je présentais à l’époque une émission sur SFR Sport, qui s’appelait Breaking Sport. Je sors, et je tombe sur mon père, 17 ans après. Il me dit : « C’est une surprise, hein ! » Non, c’est pas une surprise, c’est un choc. Je lui dis : « Une surprise, c’est quand tu n’as pas vu ton père depuis 10 jours et qu’il est revenu de Londres ou de New York avec un cadeau. Ça, c’est une surprise. Quand on n’a pas vu son père depuis plus de 10 ans, ça s’appelle un choc. » Je l’ai invité au restaurant. Et on a passé une soirée… Pas bonne. » Une soirée notamment marquée par la rencontre entre son géniteur et Noël Le Graët, président de la Fédération française de football. « Il a dit : « Vous avez un fils formidable, il est bien éduqué, il a de bonnes valeurs, c’est un très bon journaliste. » Mon père répond « Oui, je sais. » Et pour moi, c’est une déchirure. Là je pense à ma mère, à ma vie, à ma soeur qui m’a épaulé, à mon frère… Je suis rentré à pied et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. »

En dépit de son enfance difficile, Mohamed a toujours su qu’il voulait aller loin. Et ce, même si son quotidien sur les bancs de l’école a parfois été difficile également. « J’ai pas eu l’impression, au collège et au lycée, de vivre un racisme par la couleur de peau, par l’origine, par le fait que je sois maghrébin. Ce qui m’a fait le plus mal, c’est plutôt le racisme social. Ma revanche ? C’étaient les notes. Quand j’avais pas le nouveau portable, quand je me faisais chambrer parce que j’habitais à Saint-Denis… En français, en histoire, celui qui vous met des pilules, c’est moi. »

VIDÉO- Retrouvez l’intégralité de la Face Katché de Mohamed Bouhafsi

De part ses notes et son attitude volontaire, il s’illustre en cours et trace son chemin vers sa passion pour le journalisme. « Ma revanche, c’était de me dire : « Socialement, je vais réussir à m’élever. Je vais montrer que je peux y arriver. » Quand je travaille, que je réussis quelque chose, ou que je me bats pour ça, je me dis que je le fais pour deux choses. Et je ne devrais pas le faire pour ces choses-là. Je le fais pour que les gens comprennent aussi qu’un « Mohamed », c’est aussi un mec bien. Ce n’est pas que les voitures qui brûlent, ce n’est pas que les quartiers, les cités. Et il y a une deuxième démarche. C’est de me dire : pour tous ces jeunes qui sont en quartier, qui sont dans la difficulté. Je me dis que ces gens-là, s’ils peuvent comprendre qu’on n’est pas condamné à l’échec, qu’on peut réussir, qu’on peut se battre et qu’on peut atteindre ses objectifs, c’est formidable. »

Aujourd’hui, Mohamed Bouhafsi garde un profond respect pour les institutions, qui va de paire avec son engagement citoyen. « Moi ce que je dis, c’est que l’école, il faut la respecter. Les policiers, les professeurs, les gendarmes, la République… Moi je suis un enfant de la République. Je ne me bats pas pour une communauté. Je me bats pour un idéal commun et un pays. Et moi, la France, c’est le pays qui a aussi permis à ma mère de s’élever, c’est le pays qui m’a permis d’en arriver là. C’est mon pays, mes valeurs. Il y a des gens d’origine magréhbine dans mon entourage qui me disent : « Moi, je n’ai pas envie de connaître ce que tu as vécu ou ce que j’ai vécu, donc moi, mon fils, je vais lui donner un prénom français« . C’est hardcore, on rejette tout, en fait. Moi je dis : faites ce que vous voulez. Si vous aimez Maxime ou Léo, appelez Léo votre fils. Mais si vous avez au fond du coeur l’envie de l’appeler Mamadou, Omar ou Barack, appelez-le. Ne pensez pas au regard des autres. »

Et la revanche qu’il prenait sur ses camarades de classe en étant irréprochable à l’école, il la prend aujourd’hui face à ses détracteurs sur les réseaux sociaux : « J’ai eu un incident sur Twitter, un échange violent avec un mec du Rassemblement national qui m’a dit : « Vous avec une solidarité des prénoms avec les terroristes. » Qu’est-ce que tu veux faire ? On ne peut répondre qu’une chose, c’est avec le mépris. Un jour, on se croisera peut-être sur un plateau télé, et j’aurai le verbe pour lui répondre, pour lui montrer que j’aurais peut-être accompli plus de choses pour la France que lui. S’appeler Mohamed en 2021, c’est beau parce que ça prouve que notre pays donne sa chance à tout le monde. Et être Mohamed en 2021 en France, c’est pas plus dur que Mamadou, Axel qui habite au fin fond de la campagne. Menons ce combat ensemble, ne lâchons rien, on n’est pas condamnés à l’échec. Et à la fin, on verra que notre pays sera plus beau, parce qu’on a vraiment le plus beau pays du monde. »

Article : Laetitia Reboulleau et Sarah Frise

Interview : Manu Katché

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Par Joseph GARCIA

Responsable édition

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